Fantômes thaïlandais

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Découvrez pourquoi la culture thaïlandaise coexiste avec l’invisible.

En thaï, il existe un mot qui résume cette présence presque quotidienne : phi (ผี), des esprits qui habitent les montagnes, les arbres, les temples et les recoins de l’âme. Ces êtres sont bien plus qu’un simple folklore terrifiant : ils représentent le lien entre l’humain et le surnaturel.

À Barcelone, le mois d’octobre est associé à Halloween, une période où les histoires de fantômes et d’apparitions prennent vie dans les rues. En Thaïlande, cependant, la spiritualité ne se célèbre pas une fois par an : elle est présente en permanence, dans chaque maison avec sa petite demeure pour les esprits, dans chaque offrande allumée au crépuscule.

Cet article est un bestiaire : une collection de fantômes thaïlandais et de leurs descriptions d’esprits et de créatures fantastiques issues du folklore thaïlandais, inspirée de l’ancienne tradition littéraire thaï où l’on rassemblait des récits d’êtres réels ou imaginaires pour mieux comprendre les mystères du monde et leurs symboles. Nous présentons ici ces figures extraordinaires, non seulement comme des présences troublantes, mais aussi comme une part essentielle de la vision thaïlandaise du visible et de l’invisible, de la vie et de la mémoire.

Fantasma tailandés Nang Tani en un bosque de plátanos

Illustration de Nang Tani, esprit féminin du bananier sauvage dans le folklore thaïlandais. Œuvre réalisée par ferrari.illust, publiée sur Instagram le 30 janvier 2024.

Nang Tani : la femme du bananier sauvage


Dans la pénombre des bananiers sauvages habite Nang Tani (นางตานี), l’un des fantômes thaïlandais les plus connus du folklore thaï. On dit qu’elle apparaît les nuits de pleine lune, une femme vêtue de vert, la peau teintée d’une légère lueur, flottant à quelques centimètres du sol, comme un soupir emprisonné entre les feuilles.

Parfois, elle se montre bienveillante : elle offre de la nourriture aux moines qui passent sous ses branches. Mais couper l’arbre où elle réside, c’est inviter le malheur. C’est pourquoi on lui rend hommage avec des rubans de soie, de l’encens et des fruits. Sa figure incarne cette frontière délicate entre l’humain et l’invisible.

Fantasma tailandés Krasue en un bosque ardiente

Photographie artistique d’une femme incarnant un ancien fantôme thaïlandais, vêtue d’un costume traditionnel. Source : Freepik.

Phi Tai Hong : l’esprit de la mort violente


Phi Tai Hong (ผีตายโหง) représente le trouble d’une vie interrompue. Ce sont des fantômes thaïlandais issus de ceux qui sont morts soudainement ou violemment, sans rituel pour les libérer. Selon la tradition, leur colère reste vivante dans les lieux où ils sont tombés, guettant quiconque s’en approche. Durant les sept jours suivant la mort, leur énergie atteint son point le plus féroce.

À l’intérieur de ce mythe existe une variante encore plus amère : Tai Thang Klom (ตายทั้งกลม), l’esprit d’une mère morte avec son enfant encore dans le ventre. Cette double perte multiplie sa force et sa tristesse — un récit qui parle autant de douleur que de mémoire.

Fantasma tailandés en forma de gato mítico

Illustration numérique d’un bakeneko, esprit chat du folklore japonais connu pour sa capacité à changer de forme et à manipuler les humains. Auteur : savagepassion.

Cha Kla : le chat spectral


Cha Kla (จะกละ ou ผีจะกละ) est un esprit félin propre au folklore thaïlandais, particulièrement présent dans les régions centrales et méridionales du pays. Son origine remonte aux récits de magie et de sorcellerie consignés dans l’ancien Three Seals Law Code de la période d’Ayutthaya, où il apparaissait déjà comme une créature redoutée pour ses pouvoirs surnaturels. La légende raconte qu’il est craint non seulement par les villageois, mais aussi par les sorciers, dont certains auraient été capables de l’invoquer pour attaquer leurs ennemis. Dans le sud de la Thaïlande, il est appelé Phi Luang, et de nombreuses familles grandissent en écoutant les avertissements concernant cet être à la peau noire et aux yeux rouges qui illuminent l’obscurité nocturne.

Son pelage, qui pousse dans la direction opposée, lui confère une apparence contre nature. Le voir, le toucher ou même simplement le croiser est associé à la mort ou au malheur immédiat. Ainsi, Cha Kla transcende la figure d’un simple monstre pour devenir un symbole des dangers cachés dans la jungle épaisse et des peurs que la culture thaïlandaise associe à la nuit et à la magie noire.

Fantasma tailandés Phi Pop cazando junto al río

Kong Koi : le fantôme à une jambe


Le mythe de Phi Kong Koi (ผีกองกอย) est profondément enraciné dans le folklore de la Thaïlande et du Laos, et présente de nombreuses variantes selon les régions. Au-delà de sa silhouette bondissante, certaines versions le décrivent comme un petit singe ou un enfant chétif, au ventre gonflé, à la peau sombre et aux mouvements agiles. Certains affirment que sa bouche est en forme de tube, semblable à celle d’un moustique, un détail qui renforce la croyance selon laquelle il suce le sang des voyageurs endormis au cœur de la jungle. Cette caractéristique, associée au son répétitif « koi, koi, koi », a fait de cet esprit un mélange de prédateur et de vampire légendaire.​

Dans les traditions locales, marcher pieds nus ou laisser des objets sur la route est perçu comme une invitation au désastre, car on dit que tout objet trouvé dans la jungle pourrait « appartenir » à Phi Kong Koi — le ramasser reviendrait à provoquer sa colère. Pour certains groupes ethniques, la légende pourrait même s’inspirer de l’existence d’anciennes tribus nomades (comme les Sakai ou les Kha Ra Dae), à propos desquelles circulent des récits de cannibalisme et d’embuscades de voyageurs. Des histoires de moines errants racontent avoir rencontré ces êtres et en être sortis indemnes grâce à la méditation et à la sérénité spirituelle.​

Des témoignages contemporains d’empreintes étranges ou de bruits nocturnes attribués à Phi Kong Koi continuent d’alimenter sa réputation, entretenant à la fois le respect — et la peur — envers ce spectre qui veille sur les sentiers sauvages de l’Asie du Sud-Est.

Fantasma tailandés montando un caballo espectral

Ma Bong : l’esprit du cheval et de la trahison


Ma Bong (ผีม้าบ้อง), également connu sous le nom de Phi Ma Bong ou simplement Phi Ma, est l’un des fantômes thaïlandais dont l’histoire est profondément ancrée dans les croyances du peuple Lanna, au nord de la Thaïlande. Son apparence varie selon les récits : certains le décrivent avec le bas du corps d’un cheval et le torse d’un homme, tandis que d’autres évoquent une forme mi-femme, mi-cheval, séduisant les jeunes hommes avant de leur nuire. Un élément constant dans toutes les versions est son lien avec les chevaux : il se manifeste souvent par des hennissements et des bruits de sabots, laissant des traces mystérieuses qui disparaissent sans explication.

Une histoire populaire raconte comment deux amis sortaient souvent ensemble la nuit ; un jour, l’un d’eux s’éloigna et fut surpris en train de sucer la tête séchée d’un buffle. Après l’intervention d’un moine utilisant du piment, l’ami s’enfuit et le premier se transforma en Ma Bong, incarnant un esprit tourmenté au corps mi-homme mi-cheval. Des témoignages d’apparitions de Ma Bong ont été rapportés dans des lieux comme Phrae et Tak, généralement lors d’une nuit spécifique du calendrier bouddhiste, où il apparaît sous la forme d’un grand cheval sans cavalier, parfois associé à d’anciens guerriers et aux chemins ruraux, notamment près de la rivière Ping à Chiang Mai. Son apparition inspire à la fois crainte et respect, et persiste dans la culture populaire, jusqu’à être représentée dans des drames télévisés thaïlandais récents.

Fantasma tailandés Mae Nak sosteniendo su corazón

Illustration de Krasue, esprit féminin nocturne du folklore d’Asie du Sud-Est. Œuvre de Xavier Romero-Frias (2012), inspirée des récits traditionnels de fantômes thaïlandais.

Phi Krasue : terreur viscérale


Phi Krasue (กระสือ) est l’un des fantômes thaïlandais féminins les plus effrayants et emblématiques du folklore thaïlandais et de celui de l’Asie du Sud-Est, avec des variantes présentes également au Cambodge et au Laos. Elle est décrite comme une tête flottante de jeune femme belle, dont le cou laisse pendre les organes internes — l’estomac, les intestins, souvent le cœur et d’autres — se balançant pendant qu’elle erre dans la nuit. Son corps inférieur est invisible ou absent, de sorte qu’elle se déplace en flottant juste au-dessus du sol, laissant une lueur semblable à celle d’un feu follet, attribuée dans les explications modernes à la présence de gaz naturels comme le méthane dans les zones marécageuses.

Selon la légende, Krasue est une femme maudite ou victime de magie noire, condamnée à cette forme grotesque et affamée à cause d’une transgression commise de son vivant. Certains récits relient son origine à une princesse khmère brûlée sur le bûcher, mais sauvée par un enchantement qui préserva sa tête et ses organes. La nuit, Krasue recherche du sang frais et de la chair pour apaiser sa faim insatiable, attaquant les animaux et, parfois, les humains. Le jour, elle se cache sous une apparence humaine, souvent pâle et épuisée.

Traditionnellement, cet esprit est accompagné de Krahang, une figure masculine qui vole à l’aide de paniers à riz et dont le comportement est tout aussi sinistre. La légende de Krasue demeure vivante dans la culture thaïlandaise, mêlant avertissements moraux, superstitions et récits d’apparitions terrifiantes transmis de génération en génération. Aujourd’hui, son influence s’étend également au cinéma et à la culture populaire, où elle continue d’évoquer la peur et le respect envers l’invisible et l’inexplicable.

Un choc de folklores


L’univers des fantômes thaïlandais est vaste. Il existe des esprits qui veillent sur les arbres (Nang Mai), les rivières, les montagnes et les maisons abandonnées. Dans les villes, on rend hommage à Phra Suea Mueang, le gardien de l’ordre local et de la prospérité. Dans chaque temple ou à chaque coin de rue, on trouve des spirit houses, de petites demeures où l’on dépose des fleurs, des fruits ou de l’encens.

Plus que la peur, c’est le respect qui est cultivé : une manière de reconnaître que le visible et l’invisible coexistent dans le même espace. Le spirituel n’est pas imaginé comme lointain, mais comme quelque chose qui respire au cœur du quotidien.

Marcher sur les sentiers ruraux de Thaïlande, c’est sentir l’air murmurer. Les ombres semblent avoir une mémoire. Chaque pierre peut garder une histoire et chaque brise, un nom. Ici, les fantômes ne cherchent pas à effrayer : ils cherchent à être reconnus. Dans cette fine frontière entre la peur et la vénération se révèle une culture qui sait écouter même le silence.

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